Le certificat d’exportation demandé pour La pêche au thon (1966-1967), un tableau de Salvador Dalí, a été refusé. La décision de la ministre de la Culture, prise par un arrêté du 21 juillet 2017, s’appuie sur l’avis de la Commission consultative des trésors nationaux. Les deux textes juridiques ont été publiés concomitamment au Journal officiel du 30 juillet 2017.
L’arrêté ministériel explique que la toile constitue une «illustration magistrale d’un violent combat de pêcheurs avec un thon». L’oeuvre, toujours selon l’acte administratif, est «riche d’un important mélange de styles et de références, caractéristique de [la] démarche artistique [de Dalí] et de sa critique de la modernité fondée sur une relecture de la peinture ancienne». La pêche au thon apparaît ainsi «comme l’une des dernières oeuvres majeures de l’artiste, sinon sa dernière oeuvre majeure, demeurant encore en France». Elle serait «sans équivalent dans les collections publiques françaises, où la production tardive de Dalí est très peu représentée», selon l’arrêté refusant le certificat prévu à l’article L. 111-2 du Code du patrimoine.
La pêche au thon, une huile sur toile et un collage, renvoie à l’oeuvre du peintre français Jean-Louis-Ernest Meissonier, auteur de nombreuses scènes de batailles. Elle marque la fin d’un cycle de peintures que l’artiste associé au mouvement surréaliste a consacré à l’histoire, constate la Commission consultative des trésors nationaux. Cette «composition savante et foisonnante», selon l’organisme administratif, forme «un tableau magistral». L’oeuvre comporte en effet de multiples références iconographiques et à l’histoire de l’art, tandis que Dalí a eu recours à de nombreuses techniques et à des styles variés, du pop art à l’action painting.
La Commission note que l’oeuvre «illustre les thèmes obsessionnels de l’art et de l’univers intime» du peintre. Dalí aurait considéré La pêche au thon comme son tableau «le plus ambitieux», comme «une espèce d’apothéose» de son art*. Il a été acheté par Paul Ricard, alors qu’il n’était pas terminé. L’oeuvre, aujourd’hui propriété de la Fondation Paul-Ricard, était destinée à la galerie d’art du château de l’île de Bendor de l’entrepreneur et mécène français. Toutes ces raisons ont conduit la Commission à conclure que le tableau présente «un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art».
* La source de ces propos attribués à Dalí dans l’avis de la Commission n’est pas précisée.
Texte intégral
Arrêté du 21 juillet 2017 refusant le certificat prévu à l’article L. 111-2 du Code du patrimoine
Par arrêté de la ministre de la Culture en date du 21 juillet 2017, est refusé le certificat d’exportation demandé pour un tableau de Salvador Dalí, La pêche au thon, huile sur toile et collage, 1966-1967, cette illustration magistrale d’un violent combat de pêcheurs avec un thon, traduisant les thèmes obsessionnels de Dalí et riche d’un important mélange de styles et de références, caractéristique de sa démarche artistique et de sa critique de la modernité fondée sur une relecture de la peinture ancienne, apparaissant comme l’une des dernières œuvres majeures de l’artiste, sinon sa dernière œuvre majeure, demeurant encore en France et sans équivalent dans les collections publiques françaises, où la production tardive de Dalí est très peu représentée.
Avis no 2017-09 de la Commission consultative des trésors nationaux
Saisie par la ministre de la Culture, en application de l’article R. 111-11 du Code du patrimoine,
Vu le Code du patrimoine, notamment ses articles L. 111-2, L. 111-4 et R. 111-11;
Vu la demande de certificat d’exportation déposée le 6 février 2017, relative à un tableau de Salvador Dalí, La pêche au thon, huile sur toile et collage, 1966-1967;
La commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 12 juillet 2017;
Après en avoir délibéré;
Considérant que le bien pour lequel le certificat d’exportation est demandé est une oeuvre exceptionnelle de grand format de Salvador Dali (1904-1989), artiste majeur du XXe siècle, notamment connu pour son rôle dans le mouvement surréaliste; que cette toile, se référant à Jean-Louis-Ernest Meissonier, peintre de scènes de batailles du XIXe siècle, et terminée en 1967, marque le point d’achèvement d’un cycle de peintures d’histoire de grande dimension, engagé par Dalí en 1958 avec La bataille de Tétouan; que cette composition savante et foisonnante est organisée autour de l’image centrale d’un couteau à la lame brillante, avec dans son axe la figure nue de sa femme et muse, Gala, et dont les différentes parties multiplient les références iconographiques, avec un personnage tiré de l’autel de Pergame, un colosse semblable à celui de Rhodes ainsi notamment qu’un portrait contemporain, traité comme un pochoir urbain; que le sujet de la pêche au thon, traité comme une scène de bataille historique violente, avec de multiples références à l’histoire de l’art et un mélange de nombreuses techniques, illustre les thèmes obsessionnels de l’art et de l’univers intime de Dalí; que cette oeuvre manifeste et testamentaire a été qualifiée par Dalí lui-même de «définitive», alliant plusieurs styles, du pop art à l’action painting, et qu’il considérait comme le tableau «le plus ambitieux» qu’il ait peint, «une espèce d’apothéose de (s)on art»; qu’elle témoigne de la rencontre de Dalí avec Paul Ricard (1909-1997), entrepreneur de renom et mécène, notamment dans le domaine artistique avec la fondation qui porte son nom, venu dans l’atelier du peintre à Port Lligat en 1967 et qui, séduit par le tableau en cours de réalisation, l’acheta avant même qu’il ne soit terminé afin d’en faire la pièce maîtresse de la galerie d’art de son château, situé sur l’île de Bendor, au large de Bandol, dans une salle réservée à cet effet; qu’il s’agit d’un tableau magistral, concentré de techniques et d’inspirations caractéristiques de la manière de l’artiste, qui peut être considéré comme le dernier chef-d’oeuvre de Dalí et reste le seul de cette importance encore conservé en mains privées sur le territoire national;
Qu’en conséquence cette oeuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art et doit être considérée comme un trésor national,
Émet un avis favorable au refus du certificat d’exportation demandé.
Pour la commission:
Le président,
E. Honorat