Après avoir constaté la publication sans autorisation de l’une de ses photographies, Gérald Brosseau a entamé des démarches judiciaires et extrajudiciaires afin de faire respecter ses droits d’auteur. Le photographe québécois constate amèrement qu’il n’a jamais pu faire exécuter les décisions de justice en sa faveur et que ses oeuvres sont toujours reproduites illégalement sur plusieurs sites. Entretien.
M. Brosseau célèbre cette année les vingt ans de son site La photo du jour où il présente une partie de son travail photographique. S’il n’a pas signé sa première photo mise en ligne, il a par la suite ajouté la mention «tous droits réservés
» suivie de sa signature à toutes ses oeuvres. Elles sont distribuées sous licences Creative Commons depuis le mois d’avril 2008, mais le site ne comporte aucune autre mesure de protection contre le piratage.
La licence autorise la copie des photographies, leur communication et leur distribution sur d’autres supports à condition d’en respecter la paternité. Elle interdit toutefois toute utilisation commerciale des images, ainsi que toute modification, transformation ou adaptation. Ces conditions minimales ne sont pas toujours respectées, comme l’a constaté M. Brosseau en effectuant une recherche par image sur internet.
Il a en effet découvert la reproduction sur plusieurs sites de l’une de ses photos sans son autorisation ou sans respect des conditions associées à la licence Creative Commons. La photographie Montréal sur le fleuve a été reproduite illégalement sur une quarantaine de sites, dont celui d’une étude d’avocats spécialisée en droit de la propriété intellectuelle.
Le photographe s’est alors adressé à un avocat. Après avoir éliminé les violations commises par des responsables de sites personnels, d’organismes à but non lucratif ou situés hors des juridictions québécoises, M. Brosseau et son conseil ont envoyé de nombreuses mises en demeure et déposé différents recours devant la Cour du Québec.
Plusieurs dossiers ont été réglés avant leur présentation devant le juge ou au moment de l’audience. La justice a du reste donné raison au photographe dans deux affaires: Brosseau c. Baron, Lafrenière inc. et Brosseau c. Messageries sans limites inc. Aucune décision n’a toutefois été exécutée et M. Brosseau a renoncé pour le moment à en obtenir l’exécution forcée, faute de ressources financières suffisantes.
Je cherchais un moyen de préserver mes droits, d’empêcher l’utilisation commerciale de mes photos et d’avoir la possibilité de suivre mes oeuvres.
– Gérald Brosseau, photographe
Pourquoi avez-vous décidé de partager vos photographies en ligne?
Je travaillais à l’époque comme photographe pour la Ville de Montréal et mon poste, comme celui des autres photographes du service, a été aboli. Comme j’ai toujours fait de la photographie, je ne voulais pas arrêter. Au même moment ou presque, la photographie numérique devenait accessible, tout comme les médias internet. On ne parlait pas de médias sociaux à ce moment-là ni même de carnet web (blogue). Selon Wikipédia, les premiers blogues ont été publiés au Canada à la fin des années 1990, alors que moi j’ai débuté le 9 juin 1998.
Aviez-vous dès le départ pensé aux conséquences négatives d’un tel partage, notamment au piratage?
Non, absolument pas. Dans ce temps-là, le piratage était encore une histoire de cinéma, le vol d’identité n’existait à peu près pas.
Quelles mesures de protection de vos oeuvres aviez-vous mises en place au lancement de votre site?
La première photo que j’ai publiée n’était même pas signée! Pour les suivantes, je mettais un cadre à la photo et j’ajoutais la mention «Tous droits réservés Gérald Brosseau». Tout le site était alors «statique», les pages étaient ajoutées les unes à la suite des autres manuellement sans aucune protection contre le «pompage» ou le «hacking».
À quel moment avez-vous opté pour la licence Creative Commons et pourquoi?
La première fois que j’ai utilisé cette licence, c’est le 4 avril 2008. À ce moment-là, je recevais assez régulièrement des demandes des internautes pour utiliser mes photographies pour en faire des fonds d’écrans, pour les transmettre avec leurs voeux à des proches ou même des peintres amateurs qui me demandaient la permission pour reproduire en peinture une de mes photos. Je trouvais la mention «Tous droits réservés Gérald Brosseau» trop restrictive et je cherchais un moyen de préserver mes droits, d’empêcher l’utilisation commerciale de mes photos et d’avoir la possibilité de suivre mes oeuvres un tant soit peu. Je dois souligner aussi que je n’ai jamais eu une approche très mercantile de la photographie, mais plus une approche de partage de bonne foi.
Comment avez-vous découvert que certaines de vos photographies avaient été utilisées sans droit?
Pour la photographie Montréal sur le fleuve, j’avais déjà accordé des droits d’utilisation sur un site web à une firme d’évaluateurs pour une certaine somme d’argent. Environ un an après, le propriétaire de la firme m’a contacté pour me demander si j’avais vendu la même photo à un de ses compétiteurs! J’étais choqué, je le suis encore d’ailleurs. Là, j’ai commencé à faire des recherches pour voir ce qui pouvait se faire pour tenter de faire respecter la licence que j’utilisais. En 2013, l’internet étant plus efficace et avec l’aide des réseaux sociaux, j’ai lancé un appel à l’aide sur Facebook. Une amie m’a transmis l’annonce d’une conférence donnée par l’Association canadienne des créateurs professionnels de l’image (CAPIC) portant justement sur les moyens de faire respecter ses droits d’auteur! C’est à cette conférence que j’ai appris un petit truc que peu de gens connaissent. Quand vous faites une recherche avec le moteur Google, vous pouvez naturellement faire une recherche par texte, mais aussi une recherche par image si vous déposer une image dans le champ de recherche quand vous êtes dans Google images! Dès que je suis revenu chez moi après la conférence de la CAPIC, j’ai fait le test avec Montréal sur le fleuve et là je suis tombé à la renverse. Il y avait une quarantaine de sites où ma photo était affichée! Cela allait de profils Facebook à des sites de promoteurs immobiliers, des hôtels de luxe et même un bureau d’avocat spécialisé en propriété intellectuelle!
Quelles sont les démarches que vous avez alors entamées?
Comme il avait été recommandé par la CAPIC, je me suis mis à la recherche d’un avocat qui voudrait bien prendre la cause afin de m’aider à déposer des requêtes à la Cour des petites créances. Il y a eu par la suite une série de mises en demeure pour les compagnies ou individus que j’avais ciblés et avec lesquels je pensais avoir gain de cause. J’ai éliminé les sites qui étaient hors Québec, les sites d’organismes que je savais à but non lucratif et les sites personnels d’individus. Je me suis retrouvé à envoyer treize mises en demeure. Il y a eu quelques règlements hors cour en ma faveur, dont un tout juste quelques minutes avant l’audition. Il y a des recours qui ont été abandonnés, car les personnes étaient introuvables et que je ne voulais pas embaucher un détective pour les retrouver. Certains cas se sont réglés à l’amiable devant le juge.
Vous avez obtenu deux jugements en votre faveur. Avez-vous pu les faire exécuter?
Oui, j’ai obtenu deux jugements en ma faveur. Aucun n’a été exécuté. J’ai renoncé pour le moment à investir encore des frais dans des démarches auprès des firmes d’huissiers de justice pour tenter de récupérer quelques dollars, tout en remuant de mauvais souvenirs. Je n’ai pas l’âme de Claude Robinson [un auteur québécois qui a mené son dossier jusque devant la Cour suprême du Canada, ndlr], même si ce sont les mêmes questions de droit d’auteur qui sont en jeu.
Quelles leçons tirez-vous de cette expérience?
J’ai maintenant 65 ans et, le 9 juin 2018, je vais fêter les 20 ans de mon projet La photo du jour. Je mets maintenant des signatures numériques cachées dans les commentaires des fichiers que je publie, mais je ne pose pas de pièges pour les voleurs. Je ne cherche d’ailleurs pas à savoir si d’autres de mes photos ont été volées, car je ne cherche pas à faire de l’argent avec mes photos.