La ministre de la Culture a refusé, par un arrêté du 30 avril 2018, le certificat d’exportation à L’âme brisant les liens qui l’attachent à la terre (1821-1823), de Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823). Elle a ainsi suivi l’avis émis le 18 avril 2018 par la Commission consultative des trésors nationaux. La publication des deux documents juridiques n’est toutefois intervenue qu’aujourd’hui, soit dans l’édition du 19 mai 2018 du Journal officiel de la République française.
Le tableau «complexe et ambitieux», selon la Ministre, constitue «un jalon majeur de la production» de Prud’hon. L’artiste français est un dessinateur et un peintre du néoclassicisme et du romanticisme connu essentiellement pour ses allégories et ses portraits. L’arrêté ministériel qualifie l’oeuvre protégée temporairement d’«ultime et intime synthèse [des] recherches esthétiques et spirituelles» du peintre «sur la transition entre monde terrestre et céleste». La Commission consultative des trésors nationaux a employé un vocabulaire moins poétique pour préconiser le refus du certificat d’exportation.
L’organisme administratif considère, en référence aux termes de la loi, que L’âme brisant les liens qui l’attachent à la terre présente «un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art». L’huile sur toile, qui a fait l’objet d’une douzaine d’études préparatoires, a été réalisée à la fin de la vie de l’artiste. Elle représente la délivrance de l’âme, dont l’originalité et le traitement renouvellent «une iconographie ancienne de l’âme». Il s’agit du «testament pictural» de l’artiste, selon la Commission. L’oeuvre, dont la provenance est bien documentée, révèle la maîtrise du nu féminin par Prud’hon. Elle constitue pour toutes ces raisons, conclut l’avis consultatif, «une pièce manquante» dans les collections publiques françaises.
* Le tableau a rejoint le département des peintures du Musée du Louvre après avoir été acquis par la Société des amis du Louvre.
Dernière mise à jour: 19 décembre 2019
Texte intégral
Arrêté du 30 avril 2018 refusant le certificat prévu à l’article L. 111-2 du Code du patrimoine
Par arrêté de la ministre de la Culture en date du 30 avril 2018, est refusé le certificat d’exportation demandé pour un tableau de Pierre-Paul Prud’hon, L’âme brisant les liens qui l’attachent à la terre, huile sur toile, 1821-1823, ce tableau complexe et ambitieux, qui constitue un jalon majeur de la production de Prud’hon, en tant qu’ultime et intime synthèse de ses recherches esthétiques et spirituelles sur la transition entre monde terrestre et céleste, illustrant magistralement sa singulière inventivité et contribuant à la connaissance de ses dernières années, en ayant vocation à rejoindre les oeuvres déjà conservées dans les collections publiques françaises.
Avis no 2018-03 de la Commission consultative des trésors nationaux
Saisie par la ministre de la Culture, en application de l’article R. 111-11 du Code du patrimoine,
Vu le Code du patrimoine, notamment ses articles L. 111-2, L. 111-4 et R. 111-11;
Vu la demande de certificat d’exportation déposée le 4 janvier 2018, relative à un tableau de Pierre-Paul Prud’hon, L’âme brisant les liens qui l’attachent à la terre, huile sur toile, 1821-1823;
La Commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 18 avril 2018;
Après en avoir délibéré,
Considérant que le bien pour lequel le certificat d’exportation est demandé est un important tableau du peintre et dessinateur français Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823), qui a été considéré très tôt comme son testament pictural; qu’il s’agit d’une grande composition, ayant fait l’objet d’une douzaine d’études préparatoires connues et conçue en dehors de toute commande entre 1821 et 1823 dans une période tourmentée de la vie de l’artiste, entre le suicide de sa collaboratrice et compagne et son propre décès, survenu alors que cette oeuvre se trouvait encore dans son atelier; que cette oeuvre allégorique, genre que Prud’hon a pratiqué tout au long de sa carrière, et portant justement sur le thème de la mort, représente le moment de la délivrance de l’âme s’échappant de son enveloppe charnelle, sous la forme d’une figure humaine ailée s’élevant dans un contexte de clair-obscur marqué et accompagnée de divers symboles, tels les flots pour la violence des éléments terrestres et le serpent au sol pour l’envie; que l’originalité du sujet et de son traitement renouvelle une iconographie ancienne de l’âme s’inscrivant dans la filiation de représentations funéraires des sarcophages antiques et mêlant diverses inspirations, celle de la figure de Psyché ou de divinités psychopompes incarnant l’héroïsme, comme les Nikai ou Victoires; que l’Âme dans ce tableau, relevant d’une conception chrétienne, révèle la maîtrise acquise par Prud’hon dans le nu féminin et prend la suite d’une série de peintures représentant l’ascension de figures féminines, comme Psyché enlevée par les zéphirs de 1808 ou l’Assomption de la Vierge, présentée au Salon de 1819; que cette oeuvre complexe et ambitieuse, créée entre deux commandes royales à thème religieux et au parcours historique bien documenté, traduisant une ultime synthèse personnelle des recherches esthétiques et philosophiques poursuivies par Prud’hon, constitue une pièce manquante, la dernière de cette importance encore en mains privées, pour compléter le panorama de la création de cet artiste inventif et la connaissance de toutes les facettes de sa production talentueuse;
Qu’en conséquence, cette oeuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art et doit être considérée comme un trésor national;
Émet un avis favorable au refus du certificat d’exportation demandé.
Pour la Commission:
Le président,
E. Honorat